Les pavés de la place de la Canourgue se taisent. Pas un bruit de pas. Pas un claquement de talon. Les pigeons règnent en maîtres, indifférents à ce virus venu d’on ne sait où. Indifférents aux femmes et aux hommes soudain claquemurés dans une peur inédite.
À quelques mètres de ce lieu emblématique de Montpellier, le showroom de la maison de couture de Caroline Bouvier n’accueille pas ses habituels visiteurs. Pas de choix de coupe, de tissus, de boutonnières. Pas d’essayages de vestes, pantalons et chemises sur-mesure en cette fin d’après-midi mais des voix enthousiastes, des visages souriants derrière leurs masques. Des yeux vifs, oublieux de la situation actuelle ou, au contraire, percevant avec acuité l’urgence d’agir autrement. Il y a quelques jours tout ce petit monde se connaissait à peine…
Coudre des masques ! Au tout début du confinement, ce fut l’appel lancé par Caroline Bouvier auprès de son réseau de professionnelles de la confection textile. La réponse ne tarde pas. Une cinquantaine de personnes la rejoignent, bénévolement. Parmi elles, Muriel Fournier, chef d’entreprise, découvre l’initiative sur Facebook. Elle connaît Caroline. Elle sait qu’elle va y mettre toute son énergie. Son idée à elle : lancer une cagnotte. Pas question en effet que les bénévoles achètent tissus et élastiques sur leurs propres deniers pour produire des masques gratuitement.
Muriel contacte donc son propre réseau d’entrepreneurs : Roger-Yannick Chartier, Richard Préau… Les quatre fondateurs des Nouvelles Grisettes se rencontrent. D’abord par téléphone, puis en « visio ». Et enfin, « chez Caro ». L’opération « SOS masques » est lancée.
Dès le début, le réseau fonctionne à merveille. La cagnotte génère 18 000 euros. Muriel, Caroline, Roger et Richard s’interrogent cependant. Parmi ces bénévoles, ces professionnelles de la couture (il n’y a alors qu’un seul homme), toutes font preuve de talent, de créativité, de technicité. Mais un grand nombre sont en fragilité économique.
Alors, comment préserver cette créativité et ce savoir-faire ? Comment éviter que ces talents, une fois leur mission terminée, se retrouvent au chômage ou dans un emploi alimentaire ? Ne faudrait-il pas saisir l’occasion pour penser le monde autrement ? Inventer un nouveau modèle économique ? Entreprendre différemment ?
L’idée d’un atelier de confection participatif émerge rapidement. Un lieu où ces professionnelles pourraient venir travailler en fonction de leurs disponibilités, compléter leurs revenus tout en conservant leur activité principale.
Dès la première rencontre « en présentiel », les idées fusent.
Et si on cherchait un lieu… ?
Et si on formait des jeunes… ?
Et si on contactait des entreprises dont le savoir-faire risque de disparaître… ?
Et si on aidait des personnes éloignées de l’emploi…. ?
Et si, dans ce lieu, on installait une crèche pour les mamans couturières… ?
Et si... ?
Chaque question est accueillie avec intérêt et enthousiasme. Pas de critique. Pas de leader. Pas d’ego. Quand l’un sèche, l’autre rebondit sur une autre idée… ou lui sert un verre. Car oui, il faut le dire, l’apéritif est aussi au rendez-vous.
Andrée et Clara se sont jointes à cette première réunion pour pouvoir lancer très vite les premières actions de communication. Quelques minutes avant le couvre-feu, à 21h, elles doivent quitter le showroom en toute hâte pour rejoindre le quartier d’Antigone. Ce nouveau projet les galvanise. Record de vitesse et d’enthousiasme battu !
Deux mois plus tard, l’atelier fonctionne en mode agile, hébergé gracieusement dans un local mis à disposition par Pays de l’Or Agglomération. La cagnotte a permis de financer du matériel professionnel. Le WhatsApp du réseau de couturières se met en route. Le planning se remplit : certaines s’inscrivent pour la semaine, d’autres pour une journée, une demi-journée… Une chose est certaine : chaque commande est honorée avec professionnalisme et dans les délais. Aux commandes de masques succèdent celles de vêtements, de linge de maison, d’accessoires de décoration, de produits textiles techniques… Peu à peu l’atelier se diversifie.
Mais défendre les invisibles et les petites mains, ne suffit pas aux quatre fondateurs. Ils veulent aller plus loin.
Et si on diversifiait l’activité au-delà de l’atelier, pour garantir une solidité économique, avec la création d’un magasin ?
Et si on allait voir la présidente de la Région ?
Et si on prenait un partenaire restauration qui partage nos valeurs ?
Et si… ?
En septembre 2021, un an après les premières réunions organisées dans le showroom de Caroline Bouvier, les Nouvelles Grisettes ouvrent leurs portes à Pérols, dans la métropole de Montpellier. Premier lieu concept d’Occitanie, dédié à la mode et au textile responsable (lien sur lieu concept dédié à la mode et au textile responsable vers la page lieu). Et l’aventure ne fait que commencer…
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